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Moulins à vent et machines à sous
dimanche 9 mars 2008, par
Ce texte est paru dans le numéro 12 de VA PLAN ?
Il s’agit d’une adaptation d’un texte de l’association La Chan, 48140 CHAULHAC (NDLR).
À l’occasion de la vague d’installation d’éoliennes industrielles en France et de la relance de projets sur le canton de Vaour, le Collectif « qui manque pas d’airrrrrrrrrrrr » lance un débat public sur la question de ces machines et sur l’industrialisation des espaces ruraux. Si rien n’est fait contre cette déferlante, le territoire, et les sensibilités qui vont avec, seront gravement affectés.
C’est dans la conscience et la réflexion que l’activité humaine doit forger son destin.
Après avoir longtemps nié l’évidence écologique et les risques climatiques, les dirigeants s’apprêtent à en faire leur cheval de bataille. L’instauration progressive, via le battage médiatique, d’un état d’urgence écologique, sert de prétexte pour légitimer une nouvelle vague industrielle destinée, soi-disant, à compenser les dégâts des précédentes.
On assiste ainsi à l’aboutissement d’une contradiction absolue : les limites de la planète ne peuvent plus contenir l’expansion capitaliste qui se veut illimitée, aiguillonnée par une soif de profits sans cesse renouvelée. La chaudière est en surchauffe, puisant toujours plus de ressources - énergie fossile, minerais - rejetant toujours plus de déchets. La notion de développement durable est un argument publicitaire pour faire croire qu’on peut accompagner cette impasse historique.
Comme le Massif Central, le canton de Vaour en pays des bastides devient la cible de l’industrie éolienne.
Plusieurs atouts précieux y attirent les promoteurs :
le classement en « zone de revitalisation rurale », offrant une exonération de la taxe professionnelle aux industriels qui, enfants gâtés du libéralisme, peuvent compter sur l’État et son déficit public pour se substituer à eux,
un maillage de communes « pauvres » parfois prêtes à tout pour encaisser de nouvelles recettes,
un faible peuplement, aussi les investisseurs croient-ils pouvoir rencontrer peu d’opposants déterminés.
Réfutation écologique
L’un des avantages de l’éolien industriel serait de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Or la production d’électricité éolienne est aléatoire, intermittente et non stockable. Raccordé au réseau, l’éolien industriel en complique la régulation et en diminue la fiabilité.
Pour compenser cette perte de fiabilité, « on recourt aux centrales thermiques et on les maintient de surcroît en fonctionnement ralenti même quand il y a du vent pour pouvoir les accélérer instantanément. » (Journal des maires - avril 2005). Pour schématiser, chaque mégawatt (MW) éolien installé nécessite donc la mise en service d’un MW thermique en soutien. Ainsi l’éolien industriel est-il co-émetteur de gaz à effet de serre.
La production d’électricité française est excédentaire (+ 11 % en 2005 selon le Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie), pourtant EDF a planifié une relance de la production à partir de centrales thermiques fortement émettrices de gaz à effet de serre : remise en service de deux centrales thermiques à Porcheville (Yvelines), une à Aramon (Gard), une à Cordemais (Loire-Atlantique), construction d’une centrale à gaz à Maubeuge (Nord) pour 2008, deux à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), cinq projets en Bretagne.
En aucun cas, l’éolien industriel ne se substituera au nucléaire : on aura bien sûr, dans une logique de fuite en avant, et le nucléaire, et l’éolien et le thermique ...
L’industrie éolienne raccordée au réseau participe à la mise en circulation de « certificats verts » qui sont des bons à polluer, échangés entre industriels au travers d’une bourse européenne.
Elle freine les investissements en faveur d’énergie renouvelables de proximité, solaire en particulier. En Corse, par exemple, l’eau chaude solaire est à peine développée !
Les éoliennes industrielles dégradent notre espace vital, sont un danger pour la santé de tous les êtres vivants (bruit, infrasons), dénaturent les paysages et entraînent des risques de pollution physico-chimique (chaque mât d’éolienne nécessite un socle en béton de 1000 tonnes environ et le terrassement correspondant).
Le Tribunal Administratif de Nîmes a annulé par jugement N° 0406888 du 22 décembre 2006 le permis de construire d’un parc éolien à Trélans, en Aubrac, considérant que « les travaux de construction des éoliennes entraîneront la destruction de la flore, le nivellement du terrain d’assiette pour installer une grue de 150 tonnes nécessaire à la mise en place des huit éoliennes, l’élargissement des pistes à 4,50 et 8 mètres dans les tournants, l’ouverture d’une piste d’une longueur de 500 mètres pour accéder à chaque éolienne, le creusement d’une tranchée de 22 kilomètres pour enterrer le câble d’alimentation souterrain ; que ... le parc éolien ... sera visible ... du GR 6 menant à Saint - Jacques - de - Compostelle qu’il longe pendant plus d’un kilomètre, alors qu’au surplus, les lieux alentours constituent des sites privilégiés de villégiature en été et de randonnée pédestre ... »
L’éolien industriel raccordé au réseau est donc une imposture écologique.
Réfutation technique
L’instauration de Zone de Développement de l’Éolien (ZDE : parcs concentrés sous prétexte d’éviter le mitage) va à l’encontre de ce qu’est le petit éolien de proximité, de consommation directe.
La production éolienne industrielle est centralisée puis envoyée sur le réseau, ce qui génère des pertes lors du transport (minimum 6 %) et nécessite un coûteux renforcement de ce réseau. L’éolien industriel perpétue les lignes à haute tension car l’électricité produite n’est pas consommée localement.
Réfutation économique
La directive européenne sur la réduction des gaz à effet de serre n’a jamais parlé d’éolien mais les industriels ont trouvé là une légitimation idéologique et un relais de croissance. ce sont Yves Cochet, alors ministre « vert », l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) et le SER (syndicat des énergies renouvelables : Aréva, Shell, BP, Total, EDF ...) qui, de façon unilatérale, ont décidé en 2001 que l’éolien industriel représenterait 35 milliards de kilowattheure par an en 2010.
Mais l’éolien industriel ne peut exister que dans un marché artificiel soutenu par un financement politique exorbitant alimenté par l’argent public. En France, depuis l’arrêté Pierret-Cochet de 2001, EDF rachète l’électricité éolienne à un prix très nettement au-dessus du prix habituel. Ainsi, les professionnels de l’éolien industriel bénéficient-ils de revenus qualifiés dès 2001 de « rentes indues » par le président de la commission de régulation de l’électricité (CRE).
Pour équilibrer ses comptes, EDF fait payer à ses usagers une contribution au service public de l’électricité (CSPE : voir vos factures, rubrique autres prestations), alors que le surplus de production électrique sera vendu à perte sur le marché européen.
L’éolien industriel induit des coûts supplémentaires pour la collectivité du fait du nécessaire renforcement du parc thermique et du réseau de transport de l’électricité.
Les aides de l’État ne s’arrêtent pas là : en effet, la taxe professionnelle est payée en très grande partie avec les fonds publics, mais très peu par les promoteurs, voire même pas du tout lorsqu’ils s’installent en zone de revitalisation rurale comme cela serait le cas sur le canton.
En juillet 2006, le gouvernement Villepin, sans tenir compte de l’avis défavorable de la commission de régulation de l’électricité, a reconduit les mesures favorisant les investisseurs, leur assurant des rentes exorbitantes (de l’ordre de 20 à 40 % par an, après impôts, garanties sur 15 ans) en comparaison des faibles bénéfices environnementaux espérés.
Réfutation du consentement écologiste
On ne se moquera certes pas du respectable souci de sauver ce qui peut l’être encore et de mettre en place le plus tôt possible, des façons de vivre qui nous sortent de cette suicidaire fuite en avant.
Cependant, le méga-éolien est le cheval de Troie idéal pour l’industrie, l’essentiel de l’argumentation publicitaire étant réalisé gratuitement par les écologistes. Les consommateurs seraient même assez réceptifs : l’éolien est un conte de fées qui, dans une situation quasi-désespérante, donne l’impression qu’on fait enfin quelque chose pour la planète. C’est pourquoi certains insistent pour que les éoliennes ne soient pas cachées : visibles, elles doivent l’être pour que nous puissions consommer comme avant, mais cette fois en toute bonne conscience, convaincus que nous disposons à foison d’une énergie propre.
Pour mieux verdir, en donnant un air champêtre à la chose, on parle de champs ou de fermes éoliennes alors que ce ne sont que des mâts industriels porteurs d’aérogénérateurs, souvent plantés en zone sauvage et naturelle. On parle d’énergie verte en cachant soigneusement les centrales thermiques indispensables au fonctionnement permanent du réseau électrique. Et les propriétaires de terrains sur lesquels sont implantées les machines peuvent empocher leur loyer avec le sentiment d’une bonne action.
Réfutation du « relativisme » au sujet du paysage
D’après l’ADEME, « la notion de paysage diffère selon les individus, leur histoire, leur situation économique, leur sens de l’esthétique, ce qui rend le débat souvent subjectif et bloqué » (Vademecum à l’intention des élus et des associations)
Ce n’est pas parce qu’il a déjà été abîmé dans nombre d’endroits, y compris dans le monde rural (cimenterie de Lexos,..), qu’il faut continuer le massacre du paysage ; car, à ce compte, de proche en proche, de faux raisonnement en fausse justification, la société industrielle peut effectivement tout profaner, et étendre partout sa signature.
Les montagnes ont une âme qui est faite de tous les regards qui se sont portés sur elles et s’en sont remplis, et la continuité de cette éternité avec l’intrusion des mâts, est brisée...
Mais les géants du canton auront enfin des étendoirs à linge pour leurs culottes !
Perspectives et alternatives
à court terme :
Il nous faut faire la distinction entre la consommation électrique et la consommation énergétique globale : l’énergie électrique ne représente qu’un petit pourcentage de la consommation énergétique globale. Donc la production éolienne ne représentera à terme qu’une infime partie de la production énergétique totale, d’où un impact très discutable.
Mais, si nous voulons vraiment réduire les émissions de gaz à effet de serre, il existe un moyen sans frais, sans nuisances et immédiatement utilisable : diminuer la consommation d’énergies fossiles (développer le co-voiturage, réduire les transports, la surconsommation des marchandises, limiter le chauffage à 18°C dans la journée...).
Nous devons dénoncer l’éolien industriel en manifestant une opposition forte (qui ne dit mot consent) à chaque étape du parcours administratif des projets (lors des demandes par les communes de leur classement en ZDE, au moment de l’enquête publique, puis lors du dépôt de demande de permis de construire), exiger l’abrogation de l’arrêté du 10 juillet 2006, fixant les conditions de rachat par EDF du KW éolien, envisager des actions sur le terrain afin de protéger ces espaces contre toute forme de convoitise : éolien industriel, agriculture intensive, clôture d’espaces naturels...
à moyen terme :
Se réapproprier le concept d’éolien de proximité, couplé localement à d’autres énergies renouvelables : il est impératif de rapprocher la production d’électricité de l’usager, ce qui réduirait le recours aux dangereuses lignes à haute tension.
Des mesures peuvent être mises en œuvre rapidement au niveau individuel ou local :
développement du solaire thermique, de la pompe à chaleur, du petit éolien, de la géothermie, de l’exploitation de la biomasse,
réduction du gaspillage énergétique engendré par la climatisation électrique, les grosses cylindrées automobiles, le chauffage électrique, la fonction veille des appareils audio-visuels...
à long terme :
D’autres mesures sont à prendre à un niveau plus global, qui nécessitent un renversement de politique : par exemple, priorité aux transports ferroviaire et fluvial (réouverture de la voie ferrée dans la vallée de l’Aveyron), réduction des transports inutiles (il est aberrant d’utiliser du lait hollandais pour fabriquer en France des yaourts destinés au Portugal), rapprochement du lieu d’habitation et du lieu d’activité...
L’isolation des logements permettrait de réduire de près de 10% les émissions de gaz à effet de serre tout en créant des emplois durables de lapin.
Nous ne sortirons pas de l’impasse sans un changement radical de notre mode de vie et sans une remise en question de la viabilité de la société industrielle.
Un des facteurs les plus déterminants du désastre écologique est certainement l’urbanisation accélérée, brutale et totalitaire. Il faut se rappeler que la société rurale et villageoise était infiniment moins dévoreuse d’énergie, peu consumériste, plus respectueuse de la nature. Il serait temps d’envisager un rééquilibrage de la répartition de la population sur le territoire en mettant fin à une sur-urbanisation illimitée et, à terme, ingérable.
Les membres du Collectif, soit qu’ils aient volontairement préféré rester vivre au pays, soient qu’ils l’aient rejoint par rejet de la vie artificialisée des zones soi-disant « développées », entendent bien défendre vigoureusement leur conception de la vie. Le désastre écologique en cours ne peut que donner raison à leur sobriété choisie de longue date.
En conséquence, nous nous opposons totalement à ce que nos collines soient couvertes d’éoliennes industrielles pour satisfaire les besoins galopants d’une vie artificielle.
Conception de vie contre conception de la vie : nous ne lâcherons pas ces territoires, pour lesquels nous revendiquons un statut hors monde industriel, comme bien commun de l’humanité, et où subsiste encore quelque chose qui n’avait pas été souillé.
« La société capitaliste est une société qui court à l’abîme, à tous points de vue, car elle ne sait pas s’autolimiter. Et une société vraiment libre, une société autonome, doit savoir s’autolimiter, savoir qu’il y a des choses
qu’on ne peut pas faire, ou qu’il ne faut même pas essayer de faire ou qu’il ne faut pas désirer. »
C.Castoriadis (1998)
Le Collectif « qui manque pas d’airrrrrrrrrrrr »
C/o Association Bonan (tant bien que mal)
Fabre de la Grange 81140 Penne du vent